CD. Compte rendu critique. Chopin : 24 Préludes. Maxence Pilchen, piano (1 cd Paraty).
Voici une nouvelle lecture des 24 Préludes de Chopin qui va compter. Allusif et pudique, le pianiste franco-belge Maxence Pilchen inscrit la matière musicale dans l’intime, révélant de nouvelles perspectives émotionnelles dans le jaillissement contrasté des séquences enchaînées. Versatile, volubile mais puissamment intimiste, le jeu ouvre tous les champs de la conscience et de la mémoire en retissant les liens profonds et les images souterraines qui font des 24 Préludes, ce fond miroitant des sentiments les plus secrets. En plongeant dans les eaux de la psyché, le pianiste franco belge rétablit la part prodigieusement humaine du cycle. Magistral. Le disque de Maxence Pilchen renouvelle notre enthousiasme suscité par le disque dédié au Chopin historique (sur claviers Pleyel) réalisé par Knut Jacques, enregistrement également publié aussi par Paraty.
Une vision d’ensemble s’impose d’abord. Traversons le cycle de Prélude en Prélude. L’Agitato initial est un lever de rideau idéalement énoncé comme un rêve ou un songe qui vient de naître (1) : la douceur suggestive du toucher s’y montre irrésistible. Même réalisation parfaite pour le lento (2) en forme de marche nocturne aux résonances à la fois lunaires et lugubres d’une profondeur hypnotique grâce à un jeu d’une tendresse articulée enivrante (quel sens de l’indicible et des respirations) ; puis c’est un génial contraste avec le Vivace qui suit, abordé comme le vol d’une libellule ou du papillon le plus léger, sachant faire valoir au soleil ses couleurs scintillantes (3) ; l’énoncé du 4 – Largo, qui est l’une des mélodies les plus célèbres et mémorables du cycle, sombre dans l’épanchement le plus investi comme une confession douloureuse et intime : là encore l’interprète sait éviter tout pathos trop démonstratif. A l’inverse, – emblème de la lecture du cycle entier-, le jeu s’enracine dans le terreau d’une psyché tenue secrète comme préservée.
Puis, le 5 (Allegro molto) est tout désir, à son amorce, vivifiant qu’atténue dans la continuité, le 6 (Lento assai), expression d’une réserve où s’épanouit l’intime en une pudeur souveraine, bouleversante.
Le 7 (Andantino) résonne comme une réitération du Grand Maulnes, produisant la résurgence d’une valse enfouie, pure, soudainement révélée, affleurante : là encore le geste toute en pudeur et suggestivité nuancée de Maxence Pilchen saisit par sa justesse poétique.
Le 8 (Molto agitato) montre outre la sensibilité aux climats et aux atmosphères ténues, picturales, l’aisance digitale emperlée du pianiste : fluidité aérienne au service d’une sensibilité millimétrée et naturelle.
Le 9 (Largo), plus démonstratif, est porté par une certitude qui contraste avec toute la pudeur qui précède.
Emperlé, allusif, le jeu de Maxence Pilchen régénère l’approche des 24 Préludes de Chopin
Chopin réinventé : Préludes magiciens…Le 10 (Allegro Molto) se fait jaillissement liquide. Le 11 (Vivace) ivresse accordée au tempérament rêveur du début. Le 12 (Presto) sonne telle une mécanique échevelée sur un tempo trépidant. Le 13 (Lento) a la noblesse intime d’un solo de danseuse riche en arabesques diaphanes et elle aussi, envoûtantes.
Le 14 (Allegro) plonge plus grave dans une activité souterraine … pour mieux préparer au rêve d’enfance du 15 (Sostenuto), véritable immersion rétrospective et le plus long des Préludes – plus de 4 mn. La lecture plonge dans ce climat d’innocence des premières années de tout âme terrestre : saluons l’intonation et la précision stylistique parfaites du pianiste qui inscrit davantage le cycle dans l’intimité et la puissante d’une psyché de longue mémoire avec ici le souffle d’une tragédie intime prégnante et tenace. Cette richesse et cette épaisseur émotionnelle accrédite la lecture dans son ensemble.
Par effet de contraste, dont dépend la vitalité rythmique du cycle, le 16 (Presto con fuoco), affirme une ivresse échevelée où le sens de la syncope et du rebond magistralement maîtrisé, enchante et captive. Le 17 (Allegretto) saisit par sa fraîcheur absolue servie par un toucher de rêve soyeux et allusif.
Après la fulgurance du 18 (Allegro molto), tout syncopes et feu, les 6 derniers Préludes , à part le 22 (Molto agitato de moins d’une minute), présentent une même duré moyenne d’1mn20, offrant une ultime succession équilibrée dans ses développements.
Ainsi le 19 (Vivace) est délié, bavard comme la libération du secret primordial. Le
20 (Largo) a l’ampleur d’une formidable arche, -ouverture et fenêtre vers un recommencement qui s’appuie sur la conscience pleine et assumée d’une gravité intime assumée. Le 21(Cantabile) devient enchantement : le rubato poétique et dansant suscitant un chant enivré, se distingue nettement. Le 22 (Molto agitato) exprime première et animale, l’énergie agitato de forces telluriques jusque là insoupçonnées. Enfin le 23 – Moderato-, à l’inverse est un rêve liquide d’une douceur infinie qui de l’ombre retourne à l’ombre. La pudeur poétique dont est capable Maxence Pilchen, chopinien idéal, s’affirme ici dans toute sa justesse, ses nuances pudiques, ses résonances secrètes et intimes.
Dans l’ultime séquence, le 24 (Allegro appassionato), le jeu est porteur d’une tragédie intime jamais résolue. Chopin exprime dans son dernier Prélude, une énergie sombre, – véritable houle inquiète, et psychiquement instable, associée à la volonté inextinguible et viscérale de renaître.
La richesse émotionnelle, le jeu qui nous parle de l’intime et fait surgir souvent en éclats scintillants idéalement mesurés, l’activité de la psyché affirment l’impressionnante maturité de l’interprète. Sa sensibilité féconde qui s’inscrit sans pathos dans l’intime et la pudeur, force l’admiration. Outre la formidable digitalité du pianiste, c’est sa profondeur et son absolue subtilité qui touchent immédiatement. Voici un immense tempérament à suivre de près. Le disque décroche naturellement le CLIC de classiquenews de juin 2015.
MAXENCE PILCHEN en CONCERT
Le 30 juin 2015, Paris, salle Gaveau, 20h30
Programme : « De Majorque à Nohant ». Les 24 Préludes de Chopin.
Ballade opus 52, Scherzo opus 54, Polonaise opus 53.